Sous le choc de la gerbe contre un bidon couché, les grains de blé quittent l’épi et jaillissent de tous cotés. C’est une pluie de blé qui s’abat sur la bâche arrangée en isoloir, une pluie qui vient s’accumuler au sol dans le repli de la bâche. On ramassera plus tard.
Pour le moment, nous testons les gestes, l’angle de frappe, la grosseur de la gerbe, le nombre de coups portés pour qu’une fraction suffisante des grains ait lâché prise . Le reste sera offert aux poules. Les grains qui s’accrochent trop ne m’intéressent pas pour le prochain semi, je souhaite élever un blé qui se laisse battre à la main.
La surface cultivée était seulement d’une quinzaine de mètres carrés (1), c’est ma seconde année d’acclimatation et de multiplication, j’y vais doucement. Il faut assurer la main d’œuvre et les techniques de récolte et de battage avant d’augmenter les surfaces. Sinon, je serai vite débordée par le travail à faire.
En limousin, Yann a cultivé cette année mille mètres carrés. Heureusement il avait la capacité de rassembler une quinzaine de personnes - dont trois enfants qui n’étaient pas en reste - pour faire le travail de récolte. La fauche, la composition des javelles et leur installation pour la fin du mûrissement. J’ai infiniment apprécié de faire cette moisson, là-bas, en collectif, avec à la fois la joie de faire ensemble et aussi la conscience du caractère indispensable du groupe pour ces activités. Me sentir reliée à toutes ces personnes par le désir et aussi par la nécessité. Ca ressemble à la vraie vie, ou du moins à celle que je veux vivre. Mais ici en Bretagne, je n’ai pas encore un réseau de personnes suffisamment passionnées par ces gestes.
Je doute parfois, très fugacement, de la pertinence de ce que je fais là. Ça veut dire quoi de moissonner, battre et vanner le blé à la main en 2023 ? Aux yeux de certaines personnes, c’est juste un hobby, du folklore. Mais en ce qui me concerne, ce n’est pas du tout un amusement. Je ne fais pas ça pour distraire un public, ni épater la galerie, ni même juste pour le plaisir, quand bien même ça me procure en effet beaucoup de joies. Je fais ça parce que je pense que la reconquête de ces savoirs et la production de lignages de blés compatibles avec des méthodes d’exploitation bas-carbone sont des choses importantes à faire, pleines de sens et nourrissent un espoir pour l’avenir. Savoir le faire, savoir que c’est possible de le faire. Même si on va continuer encore longtemps à acheter l’essentiel de notre blé auprès de producteurs mécanisés. Juste savoir que c’est possible, dans quelles conditions, et à quelle vitesse. Sans prétendre en savoir autant qu’un agriculteur spécialisé depuis plusieurs décennies, juste inscrire ces cycles dans ma vie, comme j’ai inscrit ceux des jeûnes, du tressage, du levain (2).
Une fois le battage fini, toutes les gerbes initialement chargées sont devenues légères et déplumées, entassées sur le côté en attente d’un transport jusqu’aux poules qui picoreront les derniers grains pour les transformer en œufs. On rassemble alors le tas qui s'est accumulé au bas de la bâche. Il reste là le bon grain lourd mêlé à des pailles brisées et de la balle, cette fine coquille libérée en même temps que le grain par le choc du battage. Il faut les séparer, c’est l’opération de vannage. Lors de mes précédentes petites récoltes, j’ai utilisé le vent, avec délice (3). Cette année, j’ai découvert l’utilisation du tarare chez Yann, cette sorte de boite munie d’un gros ventilateur à manivelle et de grilles que le mouvement de la manivelle agite en même temps. Là aussi, mon goût pour la reconquête des savoirs anciens trouve à se nourrir. Une main tourne la manivelle, l’autre ouvre délicatement la trémie en vérifiant visuellement l’équilibre des vélocités. Un nuage de balle s’envole joyeusement sous l’effet du vent, emportant le moins possible de grain. Le grain est sensé traverser la coulée de vent en tombant directement sur la grille qui doit être assez fine pour le retenir pendant que les poussières descendent encore un étage. Le grain glisse le long de la grille jusqu’au drap posé au sol où il s’accumule de nouveau, plus propre. Il faudra du temps pour affiner l’utilisation de l’engin, nettoyer aussi bien que possible le grain sans en perdre trop. Faire plusieurs passages ou bien ventiler plus fort ? Nous n’avons pas assez de matière première pour prolonger les essais, en quelques dizaines de minutes c’est fait. Il reste des pailles mais la propreté sera suffisante pour semer la saison prochaine.
La pesée donne son verdict. Quatre kilos de semence obtenue pour quatre cent grammes de semence utilisée et quinze mètres carrés de sol cultivé (4), sans travail du sol, semé à la volée à la main, sans traitement, sans désherbage . Loin des rendements à l’hectare des exploitations mécanisées, mais pas ridicule.
- Une planche de maraichage. Précédent cultural : Courgettes. Préparation du sol : Bâchage, désherbage manuel, grelinette. Semi à la volée à la main le 12 octobre 2022. Dose conventionnelle 15g/m2 . Dose semée : 25 g / m2 pour tenir compte de la prédation des oiseau et de l'irrégularité du semi à la volée sur petite surface. Paillage léger après semi. Aucune irrigation. Aucun apport. Un désehrbage manuel en début d'été.
- Bien entendu, je m’intéresse au blé à cause du pain, que j’aime manger, que j’aime fabriquer. Il représente aussi une grande partie des grandes sources de calories alimentaires dans le monde. Mais ce n’est pas, loin de là, la seule céréale avec laquelle je tente de me familiariser.
- Le vannage dans le vent est une des activité que j'adore, pour leur simplicité, leur ancrage dans l'histoire de l'humanité et le lien qu'elles créent avec les personnes qui regardent.
- L’an dernier, trois kilos récoltés sur vingt mètre carré.
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