Les binômes sont penchés et actifs, chacun sur son ouvrage. L’atelier résonne du bruit des outils et du murmure des voix et sent délicieusement la résine. De temps en temps, un point technique est fait pour préciser un geste ou décrire les opérations suivantes. Au cours de la semaine, il est prévu que six capteur solaires à base de matériaux de récupération soient fabriqués. Plus une installation complète panneau-chauffe-eau animée par un thermosiphon.
Les trois jeunes ingénieurs (1) qui nous guident sont sereins. Ils ont installé une atmosphère d’artisanat tranquille, sans pression, une ambiance de travail telle que j’en ai rarement vu. Tout le monde est accordé à ce diapason, bien sûr. Les participants n’ont pas choisi cette formation low-tech pour se retrouver en high-speed !
Bricoler en groupe est une merveilleuse manière de mutualiser des savoirs, de l’espace et des outils. L’un-e s’y connaît en démontage de double-vitrage, l’autre en perçage de l’acier. Un binôme fait une bêtise, immédiatement partagée avec les autres, en prévision du moment ou iels auront à réaliser l’opération délicate. Pour chaque difficulté rencontrée, trois options émergent en quelques minutes d’échange avec les un-es ou les autres. On coupe ou on plie ? On ponce ou on rabote ?
Bricoler du matériel de récupération a quelque chose de jubilatoire, pourvu qu’on sache ne pas attendre que tout fonctionne du premier coup. Car souvent, ça n’a pas la forme idéale, ni la dimension recherchée et il faut adapter, ajuster, astucier (1), tester plusieurs approches avant de trouver la bonne. Et on revient sur l’intérêt de faire cela en groupe. Quand chaque opération doit être faire six fois, la courbe d’apprentissage est vraiment intéressante.
La découpe des panneaux de verre a été un grand moment pour chacun-e d’entre nous. Nous avions compris que c’était l’opération la plus délicate, puisque c’est la seule pour laquelle les animateurs ont insisté pour que chaque coupe « pour de vrai » soit précédée de plusieurs essais. Il fallait expérimenter la pression à exercer sur l’outil, reconnaître le crissement du sillon qui se creuse, voir comment la brisure peut s’émanciper de notre projet à la moindre inattention, avant de tenter de tailler aux bonnes dimensions la matière extraite de haute lutte, la veille, d’une fenêtre de récupération. Au fil de la journée, des groupes se rassemblaient autour d’un poste de découpe, au moment crucial, pour participer à maintenir la règle bien pressée sur le verre ou simplement regarder, et retenaient leur souffle. Un jaillissement de sifflements et exclamations informait le reste de l’atelier, et probablement le voisinage, qu’une nouvelle coupe venait d’être réussie.
Les notions théoriques sont amenées une après l'autre et les arbitrages entre les dimensions, options, configurations possible apparaissent dans leur complexité, petit à petit. Les paramètres d’adaptation aux situations réelles sont mis en lumière. Chaque installation sera unique, seuls les principes généraux sur lesquels cette technologie se fonde sont les mêmes. On est véritablement à l’opposé de l’industrie !
Le soir on discute, on débat. Technique et politique. Comparaison des contraintes imposées par le low-tech-limité-discontinu aux aliénations du high-tech-illimité-permanent. Raisons pour lesquelles nous avançons vers les contraintes visibles, pour réduire nos externalités invisibilisées.
Et puis vint la tempête. Ciaràn. Quoi de plus cohérent que se retrouver privé-es d’électricité et de moyens de communication en plein milieu d’un stage low-tech ? C’est bien à ce genre de situation qu’on se préparait, justement, non ? Personne ne s'énerve, ne panique. Chacun chacune effectue sa part de bûcheronnage ou de portage d'eau avant de rejoindre l'atelier, dans lequel le bruit des ciseaux à bois n'est plus interrompu par celui de la scie circulaire. Voilà des genres de gens avec qui j’aurai confiance d’aborder les décennies à venir.
- Les cofondateurs de l'association "La Vielle Fabrique" du pays rennais et un jeune étudiant ingénieur en césure.
- Rajouter du « jus de cerveau » à tout moment du processus.
J'éprouve toujours un immense plaisir à te lire. Bonne continuation à cette belle aventure littéraire et manuelle et bien sûr au projet des "vieux fabricants"...
Rédigé par : Laurent | 02/01/2024 à 11:23
@Laurent, merci tout plein, je suis toujours touchée des compliments sur mon écriture. Je trouve que ça rame un peu parfois. IL faut souvent du temps pour réécrire un thème qui ne veut pas se laisser faire, mais heureusement il arrive encore parfois que ça coule tout seul. Bonne année aux lusitaniens !
Rédigé par : isabelle | 05/01/2024 à 23:12