A l’heure ou je quitte concrètement le projet Brangoulo, c’est curieusement sur le projet Rangarnaud que ma méditation revient et s’étire. Comme si j'avais besoin de séparer ou distinguer les deux expériences, ou comme si j'avais besoin de revisiter le chemin parcouru avec l'une et avec l'autre. Pour mieux m'en réjouir ?
En compilant mes souvenirs de Rangarnaud sous une forme synthétique, je me suis interrogée sur l’intérêt qu’il pourrait y avoir à rendre ces notes publiques. Les récits d’autres expériences au sein de collectifs de vie m’intéressent, comme œuvres mais aussi comme sources d’information, pour enrichir ma compréhension de ce qui m’arrive ou anticiper sur ce qui pourrait m’arriver. Tout comme les récits des autres m’ont aidée et m’aident encore, peut-être ma propre contribution sera-t’elle utile à quelqu’un-e, même si je choisis ici une forme non littéraire, non narrative, plus purement descriptive.
Ces aventures ne sont pas faciles, malgré ou à cause même de leur aura de merveilleux et il est difficile de restituer à d'autres ce qu'on y vit, à cause de la complexité, de la multiplicité des facettes et de l'ambivalence des ressentis. Il est également difficile de dire pourquoi cela a pris fin. Selon mon expérience de mes propres départs mais aussi de l'observation d'autres séparations les motifs sont souvent multiples, historiques, contextuels. Situés.
Voilà donc une espèce de résumé de ce que j’ai tenté, dans quel contexte et avec quelles intentions, et voilà ce que j’ai découvert dans l’expérience Rangarnaud. Sans prétention à la vérité et disposée à répondre aux questions s'il en vient.
Temporalité, rôles et engagements :
- Entrée : février 2020 (1ère visite)
- Sortie : janvier 2023
- présence totale sur site : 180 jours (en comptant le temps consacré au projet sans être sur place, on approche les 300 j en 3 ans)
- Situation à mon arrivée : le fondateur retraité se trouve seul après une tentative de collectif base familiale avec sa sœur, tentative qui a pris fin pour mésentente concernant les intentions du projet et les modalités de vie au quotidien.
- Position / rôles : je me suis vue cofondatrice avec un groupe d’inconnu-es assemblé à l’issue du premier confinement (juin 2020) et j’ai également été pilote de la dimension agricole du projet.
- Engagement financier : jusqu’à 32 000 euros, ramené à 20 000 au moment de mon départ. Cette somme est bloquée pour plusieurs années, conformément au pacte d’associé-es.
Activités parallèles pendant ces trois années :
- projet de collectif à base familiale avec ma sœur du printemps 2020 à l’automne 2021 (sans suite)
- processus d’inclusion au collectif de Brangoulo à mi-temps à partir de mars 2022
- réseaux des Jardins Sauvages de La Bécarie depuis fin 2019
Apprentissages :
- montage économico-juridique en discussion collective (réussi)
- gouvernance partagée (semi-réussite)
- agriculture partagée (semi-réussite)
- conception collective d’un schéma directeur d’utilisation du site (bâti + espaces extérieurs)
- restauration bâti ancien (initiation)
- yourte d’habitation (observation)
- accompagnement collectif sur le juridique (par l’association Les Pas-Sages)
- recherche d’intervenant-e pour l’accompagnement collectif sur le relationnel et première intervention
Réalisations en tant que pilote :
- installation d’une ébauche de foret comestible (300 arbres sur 3000m2)
- restauration de sols pour le potager
- installation de rotations de culture potagères en non-travail du sol
- premières production de céréales
- bases de l’équation économique
Ce que j’ai aimé dans cette expérience :
- aventure de co-construction d’une culture, de règles, et d’habitudes, avec des inconnu-es
- développement de liens d’amitié (pas avec tout le monde)
- progressivité de mon engagement et le fait qu’il soit toujours resté à temps partiel
- premier terrain d’expérimentation agricole
- lien d'affection avec le sol des parcelles cultivées
- beauté de l’architecture économico-juridique élaborée
Ce qui m'a pesé dans cette expérience :
- stress de piloter l’agricole alors que j’étais moi-même en apprentissage
- doutes sur la vision du collectif de deux des hommes du groupe (1)
- ampleur des écarts entre mes intentions / perceptions / raisonnements / priorités et celles des autres personnes du groupe
- période de désagrégation des relations dans l’ensemble du collectif (été 2022)
- épisodes de violence envers moi en sept 2022 et janvier 2023 (hypothèse de bouc-émisarisation)
Points critiques dans le parcours du collectif :
- l’arrivée du foyer de la fille du fondateur avec son compagnon et leur enfant en bas âge a apporté une belle dynamique et, en même temps, a fait évoluer des processus relationnels vers les habitudes de la famille.
- la construction de la yourte destinée à être leur logement a été plus lente et laborieuse qu’imaginé, ce qui a contraint le groupe à décaler d’un an le planning de restauration du bâti ancien et de ce fait dégradé les relations entre le fondateur et son gendre, avec répercussions sur le reste du groupe
- creusement progressif d’un « eux » et « nous » entre les résident-es permanent-es (3 adultes + 1 enfant, puis 1 adulte de plus) et les associé-es non résident-es (4 puis 5 adultes), conséquence d'un vécu différent.
- tabous au sujet du projet d'exploitation commerciale du gîte. Seul projet professionnel d’un membre du groupe sur le site, avec impacts sur tout le monde, nous avons eu du mal à bien positionner les frontières.
- je pense que nous avons trop tardé à réaliser que nous avions besoin d’aide pour la dimension relationnelle de l’aventure et que nous avons encore trop tardé à concrétiser cette décision, une fois prise.(2)
Trajectoire personnelle :
- Je suis entrée dans cette aventure avec beaucoup d’innocence et de croyances.
- Convaincue que la forme « collectif de vie » était une « solution » pour le monde de demain. Je suis plus nuancée aujourd'hui, même si c'est toujours ça que j'ai envie d'explorer.
- Naïvement certaine que la production de « communs » était l’intention de toustes. En réalité, la notion de "commun" est autre chose que le partage et la propriété collective.
- Irréaliste concernant les capacités de chacun-e à comprendre ce que signifient réellement les avertissements sur la difficulté de faire collectif et le nécessaire travail sur soi.
- Ignorante du fait que beaucoup de discours, chartes, intentions affichées des collectifs ne sont pas incarnés dans les faits. (spoiler pour les primo-aventurièr-es)
- Convaincue que la forme « collectif de vie » était une « solution » pour le monde de demain. Je suis plus nuancée aujourd'hui, même si c'est toujours ça que j'ai envie d'explorer.
- Mon énergie personnelle était très affectée par la fin récente et désastreuse de mon couple voyageur, avec des impacts forts sur toutes relations pendant plus de 2 ans (vulnérabilité, émotivité)
- J’ai sur-investi un rôle d’anticipation et de protection du groupe que certain-es appréciaient mais d’autres pas.
- J’ai supposé au début que l’envie d’autonomie alimentaire se traduirait automatiquement par un engagement dans la production alimentaire et une approche raisonnée de la quantité de travail à fournir en regard de la production désirée (3). Ayant progressivement réalisé que ce n’était pas le cas, il m’a fallu un gros travail personnel pour m’extraire des attentes magiques du groupe et des miennes. Aujourd'hui je suis beaucoup plus attentive à écouter si l'on me parle de "manger des légumes du jardin" ou "produire les légumes qu'on mettra dans nos assiettes".
- La position de cofondatrice me plaisait énormément, mais était peut-être un peu illusoire. Nous n’avons pas bien élucidé ce qu’était le projet de l’initiateur avant d’avancer dans un projet commun.
- Le point sur lequel j'avais des doutes, c'était l’équilibre entre la vision du collectif en tant que lieu où l'on donne et la vision du collectif en tant que lieu dont on reçoit.
- Je rejoints les recommandations que les intervenant-es potentiel-les en médiation et facilitation, soient identifié-es en amont des problèmes.
- Tant qu'on n'a pas fait une saison complète incluant les légumes d'hiver, on ne sait pas ce que ça représente de produire les légumes qu'on mange.
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