Après quelques mois sans la moindre parcelle cultivée à me mettre sous la botte, ça y est, c’est reparti. Six cent mètres carrés de bonne terre bien ressuyante, de quoi faire un grand potager collectif. Pour ne pas perdre une saison complète, j’ai accepté l’option labour initial. En meilleure connaissance de cause, cette fois-ci (1). Un seul passage d'engin. Il restait donc de gros sillons à niveler à la houe, au croc puis au râteau brise motte. Quelques journées de travail manuel pour éviter le passage d’un second engin, plus lourd que le petit tracteur qui a retourné la pairie. Ça vaut le coup.
Six parcelles de cent mètres carrés, de quoi cultiver toute l'année en assurant les rotations nécessaires. La parcelle de légumes d’hiver est en place. Fèves, ail, oignons, pois et patates précoces. J’ai semé aussi un kilo du fameux blé population, pour voir comment il se comporte en cycle court. Et puisque c'est la saison, ma foi, un petit sachet d’orge - ma maigre récolte de l’an dernier - , cinquante mètres carré de phacélie pour la couleur et cinquante de moutarde. Deux cent mètre carrés sont donc déjà occupés avec ces cultures d’hiver, le reste est bâché et paillé, en attendant les cultures de printemps et d'été. Une parcelle ne verra que des couverts végétaux cette année.
Je me sens vivante. La joie au cœur, que je sois seule aux instruments ou bien plutôt en pilotage du groupe. Je sais quoi faire, y compris danser et jongler avec les humeurs du temps, du sol, sur la trame de plan de culture ébauchée. Je jubile de me souvenir tout à coup de ce que j’ai en stock de semences, qui conviendrait bien ici ou là, maintenant ou plus tard.
Ça me manquait.
J’en avais besoin pour moi-même, pour remettre mon corps à l’ouvrage agricole, retrouver cette pulsation, ce rythme, cet ancrage. Je piaffais de remettre mes semences au champ avant qu’elles ne perdent de leur capacité germinative, ou pour les multiplier, de donner à mes fèves métissées un cycle de plus d’hybridation. L’agricultrice en moi se sentais en jachère, en carence de projet. J’étais jalouse de mes compagnes et compagnons de réseaux de semencièr-es car leur saison démarrait et pas la mienne.
Et j’ai aussi besoin de sentir comment la fibre jardinage de ce nouveau collectif vibre. Combien d’entre elleux viennent au champ ? Qui s’y sent bien? Qui est en curiosité, et quel est le niveau d’implication général ? Sachant l’ampleur des écarts qu’il peut y avoir, chez les NIMA (2), entre les rêves d’autoproduction alimentaire et la réalité ce que cela implique, j’ai envie de prendre le temps d'observer comment la mayonnaise prend. Comment les forces physiques s’engagent et comment les agendas, bien chargés de travail, famille, restauration du bâti, se plient – ou pas – aux impératifs de tempo saisonnier du travail agricole. Il n’y a que dans la pratique que j’en aurai le cœur net, et je préfère commencer tôt, dès le début de mon parcours d’inclusion. Je n’ai pas envie de me retrouver dans six mois à regretter d’avoir patiemment attendu un hypothétique moment plus propice (3).
L'idée, que je rappelle régulièrement, n'est pas de produire dès cette année de quoi mettre significativement dans les assiettes, mais d'amorcer les apprentissages en installant peu de cultures légumières, sur des petites planches, qui seront faciles à suivre, désherber, récolter.
Comme à Rangarnaud il y a trois ans, ma proposition de cultiver les annuelles sans intrant et sans travail du sol, avec alternance de couverts végétaux pailleux, a été bien accueillie. C'est une des grands avantages avec les NIMA: ielles ne sont pas formaté-es au sacro-saint cycle de l'azote au point de ne pas croire qu'on puisse fonctionner sans engrais azotés. L'expression "fertilité par la vie du sol" ne leur semble pas étrange, et ielles n'ont pas en tête des standards de rendement auxquels comparer ce qui sortira du champ les premières années, celles où les dynamiques biologiques rament un peu à se remettre en route.
Cette année, on va produire quelques légumes, du grain, des semences, du sol, du lien, de la coopération et du savoir...
- Il n’y a pratiquement pas de rumex dans cette prairie. Le rumex est une forte contre-indication au travail du sol , car le hachis de racines de rumex produit un champ très dense de rumex, avec lequel il faut ensuite négocier toute implantation de culture. La technique que j'ai expérimentée à Brangoulo pour une parcelle très enrumexée, c'est un long bâchage, de février à avril puis un faux semi.
- NIMA : Non Issus du Milieu Agricole.
- En démarrant tôt , je me sens disposée à la patience et à la progressivité, ce qui ne nuira pas à l'objectif de favoriser une participation dans le plaisir.
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.