La première raison pour laquelle j’apprends à cultiver le blé, c’est que j’aime le pain. J’aime manger du bon pain. J’aime pétrir et cuire le pain, pour moi et pour d’autres. La fabrication du pain quotidien avec mon levain cap-hornier est intégrée dans ma vie de tous les jours depuis presque dix ans, et avant cela je faisais déjà mon pain quotidien depuis plusieurs années, avec de la levure boulangère.
La raison pour laquelle j’apprends à cultiver le blé entièrement à la main, semi, récolte, battage, vannage, c’est parce que je rêve d’une vie dans laquelle ces gestes seraient intégrés comme normaux, à l’échelle vivrière. Je rêve d’un territoire dans lequel plein de gens le feraient par passion et par nécessité, par quête de sens en même temps qu’acceptation du réel.
Mais, dans notre société occidentale prospère, on n’y est pas. Et peut-être bien qu’on n’y sera jamais. Mon incapacité récurrente à sécuriser la main d’oeuvre nécessaire à ces opérations, dans mes collectifs depuis trois ans m’incite à rester modeste. S’il n’y a pas grand monde pour s’enthousiasmer de ce qui m’enchante, je préfère m’en tenir à de petites surfaces. Et de faibles surfaces conduisent à de faibles quantités.
Une rencontre récente avec une agricultrice chevronnée m’a rappelé que le blé en non-travail du sol, c’est pas encore gagné ! Elle dit même « impossible » en me rappelant la surface nécessaire pour faire des céréales. Ça résonne bien sûr avec une préoccupation que je connais. C’est pour ça que je m’en tiens à un objectif vivrier. A l’échelle vivrière, on peut encore utiliser l’occultation pour traiter l’enherbement. Les bâches de quelques centaines de mètres carrés existent. A plusieurs milliers de mètres carrés, il faut autre chose. De très grosses machines capables de trancher un couvert, ou bien retourner le sol, ou bien les défoliants chimiques ou bien des successions végétales que nous n’avons pas encore mises au point. Fukuoka faisait pousser de l’orge et du riz en succession sans labour , mais il disposait d’un atout de poids pour lutter contre l’enherbement : une inondation de deux semaines chaque année, pendant le cycle du riz. Le riz est capable de prospérer dans l’eau, pas le blé. Donc on n’a pas encore la solution.
Simon, le jeune paysan-meunier du coin peut lancer son moulin, faire les réglages et avoir assez de farine pour tester ses qualités de panification si je lui apporte dix kilos de grain. Dix kilos, c’est pas loin de ce que j’ai fait cette année, je vois ce que ça représente comme travail et surface. Ensuite, si ma population de blé l’intéresse, il pourrait essayer de la cultiver, pour voir ce qu’elle donne.
Blé FURAT : 6kg sur 50m2
Premier essai de cette population de blés panifiables qui, à ma connaissance n’avait jamais encore été cultivée aussi loin dans le nord. Parmi les centaines de variétés que contenait le mélange initial, seules ont prospéré celles capables de germer au printemps après un semi à la volée (1) et de pousser en cycle court. Effet de sélection drastique et intentionnel qui peut expliquer le rendement assez faible. Mais pas ridicule, a commenté Simon quand je lui ai parlé de cet essai. J’ai maintenant de quoi semer trois cent mètres carrés, si je veux respecter les instructions de l’auteur de cette population qui précise la nécessité de tout récolter et tout resemer pendant la phase d’adaptation. Peut-être trois mille mètres carrés en troisième année. Bigre. Ca implique beaucoup de choses. Pérenniser mon accès au sol, qui actuellement est conditionné au bon déroulement de la phase d’inclusion dans le collectif. Trouver de petites machines de récolte et de battage.
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Le semi à la volée à l’ancienne expose beaucoup plus les grains à la prédation des oiseaux futés et les plantules juste germées aux risques de dessèchement.
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