Depuis quelques années, je suis le siège de deux mutations contemporaines l'une de l'autre. La première, il me semble, est une forme d'élévation de ma pensée, d'ennoblissement de mon rapport au monde. Je tente de donner une forme observable, énonçable, à ma quête du sens de ma vie. Pour cela, je prends du temps pour penser, lire, écrire, partager, à propos de l'état de la planète et de la santé des sociétés qui la peuplent. Ça semble grandiose ainsi formulé et ça l'est sans doute, peu m'importe. J'ai besoin de me sentir participant à un grand mouvement de l'humanité de mon époque, celui de la prise de conscience des limites du mode de vie occidental. L'autre mutation, ironiquement, se fait de manière indépendante de ma volonté et pourrait ressembler à un mouvement vers le bas. Au moment de ma vie où je m'engage vis-à-vis de la planète entière, rien que ça, mon corps me ramène à moi-même. Je vieillis. Diverses manifestations relativement discrètes toquent à la porte pour attirer mon attention sur le fait que la longue période où le bon fonctionnement de mon corps allait de soi est en train de prendre fin. Blanchissement des cheveux et densification des rides ne sont que des signaux extérieurs mineurs, presque exclusivement esthétiques. Les instabilités hormonales de la ménopause ont apporté des épisodes de chamboulement émotionnel flagrants et un amoindrissement plus durable de ma force musculaire que je peine encore à nommer clairement mais que je peux également accepter. Mais c'est ma dentition qui m'envoie depuis six mois le message le plus confrontant. De multiples mini-abcès récurrents me rappellent que je suis faite de matière putrescible ce qui me fait toucher du doigt mon inéluctable mortalité.
La place qu'ont prise mes mâchoires dans mes pensées quotidiennes est surprenante. Pas de douleur massive mais comme une « présence », m'obligeant en retour à observer et à m'en occuper. Observer et interagir. Ainsi s'énonce le premier principe de la Permaculture. Le propos d'Holmgren fait référence à l'environnement, bien entendu, pas au corps, mais je m'amuse du parallèle, comme si j'acceptais déjà l'influence sur moi de ces lectures récentes. Je n'ai pas envie de soumettre ma bouche au curage profond que m'a décrit mon dentiste, ni d'imposer six mois d'arrêt à ma vie de voyage pour ce traitement-là. Voilà donc six semaines de rang que je me tiens à la régularité métronomique d'un soin quotidien doux à base d'eau oxygénée et de bicarbonate de soude. Ma propre régularité en cette affaire m'étonne. Jamais auparavant, me semble-t-il, je n'avais été si fidèle dans la durée aux besoins de ma santé, surtout buccale. Par flemme et par manque de conviction. Peut-être aussi en lien avec l'irrégularité de mes rythmes de vie. Il se pourrait que mon action n'ait pas grand-chose à voir avec le recul ténu et progressif de mes petits abcès mais ma motivation à continuer ce soin dentaire quotidien ne faiblit pas. C'est à cet égard que je résiste à l'idée de qualifier mon vieillissement de mouvement vers le bas, car ce que je vis est plutôt une autre forme d'amélioration, d'élévation, que je qualifie volontiers d'assainissement de mon rapport à mon propre corps. Dans cette affaire de dents, au lieu de poursuivre ma logique du « on verra bien demain », je m'installe dans une stratégie à long terme, sur plusieurs années, associant ce traitement doux et mes jeûnes périodiques pour freiner l'évolution de la parodontolyse (1).
Il existe probablement un lien entre la place que mon corps reconquiert dans ma vie et la distance que je prends avec le mode de vie citadin occidental. Loin du filet de protection de la sécurité sociale, à laquelle je ne suis plus raccordée, la question de la santé se pose autrement. Les solutions médicales sont moins accessibles. Le raisonnement en termes de solution lui-même perd de sa pertinence. Ce qui devient pertinent pour moi en matière de santé, c'est l'attention aux signaux et la prévention.
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En réalité mon objectif est plus ambitieux que cela, car je rêve de réussir à accompagner mon organisme vers une réparation des dégâts. Il parait que c'est possible. Mais pour cela il faudrait une autre mesure transitionnelle dans ma vie : la réduction drastique de l'alcool. Sur cette route-là, il reste encore un peu de chemin à faire.
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