Dans mes cogitations sur un monde meilleur, je sens parfois naitre en moi un élan à faire des propositions. Ça va bien de critiquer, de remettre en question l'ordre établi, mais pour faire la place à quoi, me dis-je. Comme je n'aime pas les situations désespérées, je m'y colle, je réfléchis à ce qu'on pourrait mettre à la place. Parce qu'il faut bien le reconnaitre, le système est drôlement verrouillé et si on n'y met pas un peu de matière grise en plus de la mobilisation, on risque de ne pas sortir des impasses.
Ça fait longtemps que trotte dans ma tête une réflexion sur l'abus de richesse. En fait, c'est depuis l'élection d'Obama, la première. Ce type génial - je le trouvais génial à l'époque - avait osé parler d'un niveau maximal de revenu et il avait osé, le premier à ma connaissance, disons le premier dans une telle position d'autorité, formuler un chiffre. Cinq cent mille dollars annuels, si ma mémoire est bonne. Il avait suggéré qu'au-delà de cinq cent mille billets verts par an, on pouvait qualifier le revenu d'excessif si ce n'est pas indécent. J'ai trouvé ça vraiment bien. A la fois la notion de revenu excessif et le montant. La notion de revenu excessif représente un pendant logique à celle de seuil de pauvreté, vous ne trouvez pas ? On sait définir mondialement le seuil de pauvreté, celui au-dessous duquel tout le monde s'accorde pour reconnaitre que ce n'est pas assez pour vivre décemment, dignement. Mais personne ne travaille à définir le seuil de richesse, celui au-dessus duquel tout le monde s'accorderait pour reconnaitre que c'est trop. Que ça gène l'ordre social, que ça crée des déséquilibres, des inégalités, des injustices. Donc l'idée d'un revenu excessif, j'applaudis des deux mains. Que la honte émerge. La honte de gagner trop et plus seulement la honte de ne pas gagner assez. Comme en toute honnêteté, vous l'avez compris, ceci n'est pas le fruit de mes propres élucubrations, car Obama y a pensé avant moi, je réfléchis en ce qui me concerne à un autre aspect de la richesse : celui de l'accumulation.
La tendance anthropologique à constituer des stocks pour les périodes de vaches maigres n'est certes pas critiquable, elle protège tant de familles, de villages, de peuples des aléas de la vie ! Non, je ne conteste pas l'intérêt d'une accumulation raisonnable, mais je réfléchis à la notion d'accumulation excessive, contre laquelle je suis d'avis qu'il faudrait lutter, car elle est problématique. A partir d'un certain niveau, elle traduit immanquablement des formes d'exploitation abusive de la planète ou des humains ou des deux. Directement ou indirectement. Les diamantaires d'Anvers ont les mains tachées du sang des esclaves qui les ont extraits de la terre et ceux qui ont assez d'argent pour offrir une rivière de diamant à leur amante ont les mains doublement salies à mes yeux. A partir d'un certain niveau de richesse, plus personne n'a les mains propres. On ne peut pas gagner par son seul travail personnel, par son seul mérite personnel de quoi faire vivre sa famille pendant cinq cents ans à un train de vie débridé. Mais le monde étant ce qu'il est aujourd'hui et me trouvant moi-même dans l'incapacité de lui faire rebrousser chemin et re-parcourir le temps sur des bases plus équitables, j'ai eu dernièrement une idée géniale, moi aussi. Je propose une réforme mondiale de l'héritage.
Voilà mon raisonnement. A partir d'un certain niveau de prospérité, tout un tas de gens ont la possibilité de dépenser moins que ce qu'ils gagnent et donc ils accumulent. Les lecteurs attentifs de ce blog savent déjà que c'est sur cette portion-là de l'humanité que j'aime me pencher. Limiter les revenus à la façon Obama, c'est-à-dire en dessous de la décence, n'empêchera pas ce mécanisme d'accumulation individuelle et en plus j'ai déjà dit que l'accumulation individuelle n'est pas une mauvaise chose en soi. Mais on pourrait tenter d'empêcher que les économies ainsi constituées grossissent et s'enflent de génération en génération, jusqu'à des niveaux excessifs. L'idée de génie (la mienne) serait de conditionner la transmission par donation ou héritage à un plafonnement. Non pas un plafonnement du montant du don lui-même mais un plafonnement du total accumulé par l'héritier. En gros, on pourrait recevoir de l'héritage ou une donation mais seulement tant que sa propre fortune n'atteindrait pas un niveau démocratiquement défini comme « excessif ». Par exemple un million d'euros, ou deux, ou cinq. On ne parlerait plus de taxation sur les transactions financières, d'impôts du la fortune, non, ça serait beaucoup plus radical et en même temps infiniment plus simple : il serait mal vu de posséder trop et impossible de faire franchir le pallier générationnel à ce trop-plein.
Selon ma nouvelle loi sur la donation et la transmission par héritage, la succession entre gens modestes et moyennement riches ne changera guère. Seule la situation successorale des personnes fortunées changera. Les enfants déjà riches au-delà du seuil démocratiquement défini ne recevront rien à la mort de leurs parents riches et laisseront leurs frères et sœurs moins riches se partager l'héritage. Les personnes vraiment très très fortunées, celles dont la fortune est vraiment scandaleuse seront vivement encouragées à laisser dans leur testament une liste de bénéficiaires potentiels, qui seront servis par ordre d'apparition dans la liste pour autant que leur fortune personnelle au jour du décès de leur bienfaiteur n'atteigne pas déjà le niveau qualifié d'excessif. Si vous avez déjà trop de patrimoine, même si vous êtes sur la liste des héritiers désignés vous passez votre tour et on examine le suivant de la liste. L'excédent éventuel reviendrait à l'état mais faisons confiance aux riches : sous une telle loi, ils auront à cœur de laisser une liste de bénéficiaires potentiels suffisamment longue pour épuiser leurs ressources, quitte à frustrer les derniers de la liste. Hi ! hi !
Ainsi une trop grande fortune se trouvera transformée en un grand nombre de fortunes moins grandes, des fortunes juste à la limite de l'excessif démocratiquement fixé. Il suffira de quelques décès pour que des mégafortunes soient ainsi réparties en une base beaucoup plus large de patrimoines moins déraisonnables. Bien entendu, j'ai de la suite dans les idées alors je me dis qu'il suffira alors d'un réajustement démocratique du niveau de patrimoine « excessif », une révision à la baisse, par exemple, pour que la répartition s'étende un cran plus loin à l'occasion de la vague de mortalité suivante. Notez que cette redistribution sans violence serait toujours respectueuse des souhaits des bienfaiteurs par le biais de la liste des bénéficiaires. Je gage que, dans un entre-soi de gens déjà tous riches, il deviendra vite difficile de trouver des bénéficiaires éligibles. Il s'agira alors d'élargir la liste à des moins proches et qui sait, peut-être quelques gens modestes dans le lot. Et là je me frotte les mains.
Il ne s'agit donc pas de « prendre l'argent là où il est », comme le préconisait de manière simpliste et irréaliste notre tonitruant Georges Marchais, mais plutôt de forcer les possédants excessifs à répartir d'eux-mêmes la richesse, en rendant illégale la concentration-accumulation au-delà de sa propre durée de vie.
Parmi les heureuses conséquences de ces nouvelles dispositions légales, on peut considérer la suivante : il ne sera plus possible de transmettre à un seul héritier un bien (résidence, yacht, avion, entreprise) dont la valeur individuelle dépassera seuil de richesse dit « excessif ». Cela obligera à fractionner la valeur de ces biens en parts, lesquelles seront réparties entre plusieurs bénéficiaires, dans la limite de leurs droits respectifs à accumuler par héritage. Le cas des entreprises est particulièrement intéressant. Les familles garderont difficilement le contrôle des entreprises. Plus l'entreprise sera grande, plus il sera difficile d'en garder le contrôle au sein de la famille. Finis les dirigeants de droit du sang ! Un père créateur ne pourra plus transmettre la boite à son fils. Je prévois même, lorsque je déposerai ce projet de loi auprès des instances ad'hoc, de suggérer, dans le cas des entreprises, une perspective distincte concernant la liste des bénéficiaires potentiels. Au lieu d'être transmises à une liste de bénéficiaires désignés par le défunt, les parts de l'entreprise non transmissibles à la famille pour raison de dépassement du seuil seront réparties entre les employés de l'entreprise elle-même, à proportion de leur ancienneté au service de l'entreprise et toujours sous réserves de ne pas excéder la richesse seuil pour chacun. Pas de traitement de faveur pour les cadres. Ainsi, en plus d'un mécanisme permettant de réduire rapidement et drastiquement les inégalités de richesse, nous disposons d'un merveilleux dispositif de remise des moyens de production entre les mains des travailleurs eux-mêmes. Voilà qui va changer l'ambiance dans les assemblées générales !
Je vois déjà les élites économiques s'agitant avant même le décès du doyen pour drainer par capillarité la portion la plus large possible du trésor du vieux mourant. Ils s'empressent de faire don de leur propre patrimoine autour d'eux, assurés qu'ils sont de pouvoir se refaire dans quelques semaines, quand le cancer de l'oncle aura gagné la partie. Loin d'être mal considéré, ce comportement compulsif-répartitif est au contraire hautement apprécié de toute la société, puisqu'il participe du grand mouvement de redistribution désiré.
Pour que ces petits miracles surviennent, il suffirait de deux choses : d'une part un « seuil de patrimoine excessif » démocratiquement déterminé et d'autre part une loi fixant le mécanisme transmission sous conditions de plafonnement au niveau du bénéficiaire.
Certes, certes, nous ne sommes pas à l'abri d'une évasion par émigration, les évadés tentant ainsi de se mettre à l'abri de lois moins généreuses. C'est pour ça que je parle de réforme mondiale. Rêvons en grand. D'un autre côté, étant données les perspectives peu réjouissantes qui se présentent à l'horizon de quelques courtes décennies, perspective qui feront appel à toute la solidarité dont nous saurons faire preuve, la fuite hors du pays des familles qui ne seraient pas disposées à contribuer à ce magnifique projet serait plutôt une bonne chose. Que partent au loin ceux qui veulent la jouer perso !
Quels seraient les effets re-distributifs d'une telle loi si le seuil de richesse excessive était fixé à cinq millions d'euros ? Deux millions d'euros ? Combien de fortunes géantes seraient ainsi transformées en combien de fortunes socialement acceptables ? Combien d'années faut-il compter pour que les cent plus grosses fortunes de France passent par une répartition successorale ? Les mille plus grosses fortunes ? Je rêve qu'un économiste calcule tout ça. Histoire d'éclairer la lanterne des représentants du peuple appelés à statuer en assemblée sur le premier énoncé du seuil de richesse excessive. Lesquels représentants du peuple auront bien entendu été choisis par tirage au sort, moitié parmi les françaises majeures et moitié parmi les français majeurs.
Quels doivent être les termes d'une loi suffisamment bien tournée pour entraver les inévitables tentatives d'évasion ? Est-ce que la constitution Française permettrait l'existence d'un tel dispositif ou bien faudrait-il la modifier d'abord ? Les textes européens ? Je proposerai volontiers Mme Eva Joli à la tête de la commission de rédaction du texte ….
Y a-t'il eu des précédents dans l'histoire de l'humanité ? Des tentatives de règlementer la possession totale ou l'accumulation par héritage ? Ca a bien dû être imaginé chez les communistes mais ma connaissance de ces aspects-là de l'histoire est insuffisante. Par ailleurs, je n'approuve pas le totalitarisme. L'exercice auquel je me livre ici est d'imaginer un dispositif législatif minimaliste avec le maximum d'effet. Elle est pas belle, mon idée ? Par vos réactions, suggestions, objections, critiques ou compliments, aidez-moi à améliorer ce petit délire jubilatoire. Au pire on en fera un grand moment de Science-Fiction et on aura bien rigolé !
Bonjour Isabelle,
Excellente idée que ce "rabotage" des patrimoines transmis par héritage.
Idéalement à appliquer également aux donations, dons manuels... mais surtout à élargir à tous les pays de mon dentier ! ;) Sinon le système ne profitera qu'aux financiers qui se feront de gros bénéfices ( et je suis poli) sur la mise en place de systèmes d'optimalisation successorale.
D'autre part, pour élargir le système à tous les pays de notre petite planète, comment définir la limite entre un patrimoine décent et indécent dans chaque pays.
Ce n'est pas à toi qu'il faut rappeler que la monnaie qui garni la poche d'un touriste lambda pour acheter quelques souvenirs au souk correspond souvent à la somme nécessaire à nourrir une famille durant des semaines !
bien à toi
Rédigé par : Yves sur la Curieuse | 07/06/2018 à 18:50
Bonjour Yves,
Comment font-ils pour définir le seuil de pauvreté?
S'il fallait commencer par un périmètre plus restreint que le monde entier, je me contenterai bien de l'Europe. Principalement parce que j'estime que c'est à nous, le vieux continent colonisateur et pilleur des autres de montrer l'exemple en premier. Et au sein de l'Europe, je commencerai bien par la France, le pays d'origine de la déclaration universelle des droits de l'homme. Ça serai classe, non?
Sinon j'ai bien prévu que la loi s'applique aussi aux donations de toutes espèces, sinon il serait trop facile d'échapper au couperet redistributeur.
Rédigé par : isabelle | 07/06/2018 à 22:19
Du coup je suis allée voir ces questions de calcul du seuil de pauvreté. Et en effet, c'est pas facile au niveau mondial ...
https://jeanneemard.wordpress.com/2018/03/29/le-seuil-de-pauvrete-extreme/
Rédigé par : isabelle | 07/06/2018 à 22:39
Bonsoir Isabelle,
(Je commence mon petit tour des articles :))
Quelle bonne idée ! Il me semble qu'actuellement les légataires peuvent déjà magouiller en transmettant une partie de leur patrimoine à des fondations et autres structures accueillant les dons, faudrait voir en détail si elles le méritent ?
Sinon, vraie question : quel serait ledit seuil en France ? Je me pose régulièrement cette question, car malgré mon choix de vie sobre, j'ai pu par le passé mettre de l'argent de côté quand je travaillais trop fort + dons variés de mes parents pas dans le besoin non plus. Alors je m'interroge : que faire de ces économies ? comment devrais-je réalistement conserver pour la peur des coups durs ?
Rédigé par : Laetitia | 26/03/2019 à 20:47
Bonjour Laetitia, merci d'être venue voir mes pages!
Tu sais quoi, je me pose exactement les mêmes questions.
J'aimerai tant qu'un collectif citoyen se penche sur ce débat, ce calcul ! Mais c'est vrai qu'on peut aussi avoir un raisonnement personnel, voire individualisé. Par exemple j'ai deux enfants et je sens bien que mon seuil, si j'en décide moi-même, tiendra compte de ça. As-tu déjà imaginé un chiffre, toi? Sur quel raisonnement?
Tant que je n'ai pas une réponse qui tient la route (un chiffre ou un raisonnement adaptable aux cas particuliers) je m'astreins à cesser d'accumuler.
Ensuite, il y a la question du surplus éventuel. Mon idée serait peut-être de financer la "transition" de personnes qui souhaiteraient le faire mais à qui il manque un petit capital pour ça.
Par exemple j'ai prêté sans intérêts sur cinq ans vingt mille euros à des presque amis qui s'étaient lancés dans la permaculture en visant trop juste la mise de départ. Eh bien je ne suis pas vraiment pressée qu'ils me remboursent... Ça a du sens que mon argent précédemment accumulé soit utilisé ainsi.
Rédigé par : isabelle | 26/03/2019 à 22:07
Nous nous posons vraiment des questions de riches ;)
J'essaie d'avoir la démarche suivante : diminuer au maximum mes dépenses, nous rendre autonomes sur certains points importants (les patates !), pour au final calculer de combien nous avons besoin chaque mois pour vivre sans survivre.
Aujourd'hui, nous pourrions hypothétiquement nous contenter de 1000 € pour deux personnes / mois (nous n'avons pas de loyer, pas de crédit, pas d'abonnements divers hormis le téléphone). À deux, nous pouvons mutualiser pas mal de dépenses. Nos plus gros postes sont la nourriture et la voiture. Et la cabane quand nous investissons.
Pour l'argent de côté, je me questionne justement depuis quelques mois si je ne pourrais pas aider en donnant aux initiatives locales qui me plaisent. Sans forcément demander un remboursement d'ailleurs...
Je cherche de manière générale à me passer de l'argent, alors dès que c'est possible, je donne, je troque. Je travaille même contre des produits et des services si mes client.e.s sont ouvert.e.s :)
Parfois, je me dis que je répartirai bien mon argent ainsi : 1/3 pour mon couple et notre lieu de vie, 1/3 pour moi (formations, voyages, livres) et le reste pour des associations, des coopératives ou des projets locaux qui ont besoin de fonds.
Rédigé par : Laetitia | 28/03/2019 à 16:25
Hello Laetitia,
Bien sûr que ce sont des questions de riches! Et si nous étions plus nombreux à nous les poser (la recherche du minimum de revenu pour vivre sans survivre et la recherche du minimum de capital/patrimoine pour se sentir en sécurité) je pense que le monde aurait une autre allure et que les richesses seraient mieux réparties. Alors, allons-y avec ces questions, et sans honte !
L'idée des tiers pour partager ton patrimoine (si c'est bien de patrimoine que tu parles) est intéressante. C'est une jolie manière d'éviter la question du seuil ;-)
Ainsi chacun pourrait réfléchir au nombre de parts qu'il souhaite sécuriser avec son patrimoine, comme moi avec mon envie de prendre en compte mes enfants.
Mais j'aimerai vraiment avancer sur la question du seuil, le niveau du patrimoine au delà duquel on dirait que c'est "trop", "abusif", "injustifié".
A suivre....
Rédigé par : isabelle | 30/03/2019 à 19:37