J'ai visité le mois dernier une maison étonnante. C'était à proximité de la ville de Necochea, en Argentine, après quelques kilomètres de piste difficilement praticable, entre la dune et la forêt. Non seulement la maison m'a étonnée mais aussi le projet d'ensemble de la femme qui la construit et l'habite avec ses deux filles adolescentes. La maison est en terre crue. Comme les maisons voisines, situées derrière le rideau d'arbres, de construction un peu plus ancienne mais pas de beaucoup. Dans mon innocence d'ex-citadine, j'ignorais qu'on construisait encore - ou plutôt de nouveau - des maisons en terre crue, en boue, en mélange de boue et paille. Depuis cette visite, je me suis plus largement informée, grâce à nénette, et j'apprends que même en France ce genre de construction n'est pas si rare que ça. Mais le jour de la visite, j'étais totalement en découverte et j'avoue assez émerveillée. Les formes rondes, organiques, m'ont rappelé mes rêves d'enfant devant les dessins de maisons de hobbits ou les photos de maisons-dômes. L'idée de la construction de ses propres mains, d'une construction par étapes, d'une maison qui évolue, là aussi de manière presque organique a fait vibrer quelque chose de très profond en moi. Et puis, en examinant les détails et en posant des questions, j'ai réalisé que pratiquement rien, dans cette maison et son équipement-ameublement, n'avait été acheté. Tout était prélevé dans la nature proche (ossature bois à peine dégrossie, terre, paille, crottin de cheval, etc..) ou récupéré à la déchetterie (porte, fenêtres, bâches pour la toiture, poêle pour le chauffage et la cuisine, pompe à bras pour le puits, éviers et robinetterie, cuvette WC, baignoire, carrelage de la salle de bain, lampes, frigo…) ou encore fabriqué à partir de matériaux récupérés (plancher, table, tabourets, sommiers, étagères). Il m'a semblé que seul le boitier électrique était neuf, mais j'ai cru comprendre que c'était une sorte d'exigence pour l'homologation ou le permis de construire.
La maison de Laste et ses filles est très imparfaite. Encore inachevée, il lui manque les revêtements de finition qui stoppent la production de poussière et éclaircissent les murs, il lui manque l'aile qui fera arriver la cuisine au niveau du puits (qui est actuellement à l'extérieur de la maison), il lui manque des planchers pour couvrir la terre battue dans la pièce qui fait actuellement cuisine. La toiture n'a pas reçu tous les soins nécessaires à assurer son étanchéité et certains murs extérieurs montrent des signes d'effritement suite aux dernières pluies violentes. Mais pour moi, tous ces défauts sont liés à l'amateurisme de l'aventurière irréaliste qu'est Laste, qui me semble s'être lancée dans le projet avec terriblement peu d'information et chevillée au corps l'idée romantique d'apprendre en route, et non aux défauts intrinsèques de la technique de construction.
La sobriété dans laquelle vit cette mère de famille n'est pas formidablement heureuse pour ses filles, qui grincent un peu des dents devant l'inconfort extrême dans lequel elles vivent. Car tirer l'eau du puits pour se laver et laver la vaisselle, cuisiner au feu de bois, vivre dans la poussière d'un chantier qui n'en finit pas, sans disposer d'un espace personnel, d'une chambre qu'on pourrait fermer au reste de la famille, n'est sans doute pas facile à vivre pour elles. Mais elles ne sont pas en révolte ouverte. Elles revendiquent juste le droit de continuer à fréquenter le collège, quelles que soient les critiques que leur langue bien pendue leur fait prononcer sur leurs professeurs.
N'empêche, ce type de projet m'emballe. J'y vois un savoir-faire à apprendre, à restaurer, à préserver, qui sera précieux le jour où le pétrole sera devenu trop cher pour le transport des matériaux et la construction parpaing. J'ai aussi compris par la suite que Laste ne mentait pas sur les propriétés thermiques du matériau, chaud en hiver, frais en été, donc nécessitant peu d'énergie pour réguler la température, encore un atout. Je suis aussi profondément touchée par l'idée de construire de ses propres mains la maison dans laquelle on va vivre. Quel plaisir énorme cela doit procurer ! L'imaginer point par point, selon le terrain, l'ensoleillement, les arbres, la pente, puis la construire petit à petit en vivant à coté dans un mobil-home ou une cabane provisoire.
En outre ce projet me fait jubiler car, le terrain n'ayant pas coûté cher dans ce petit quartier détaché de la ville, Laste est désormais propriétaire de son logement sans avoir à rembourser d'emprunt ! La capacité à se soustraire à l'extorsion de fond de quinze ou vingt ans (voire plus, de nos jours) qui accompagne presque systématiquement l'acquisition d'un toit et qui se traduit mécaniquement par un rapport au marché du travail sérieusement amputé de libre arbitre m'est apparue comme un cadeau supplémentaire. Certes, Laste a contracté un autre type de dettes, celles qu'on doit rembourser en nature à la communauté qui vous a aidé dans les phases de construction voraces en main d'œuvre, ou aux amis qui vous ont légué leurs équipements hors d'âge mais encore en état de marche. Oui, bien sûr, mais tout ça c'est du lien, une autre forme de richesse dans la vie.
J'ignore encore quel parcours du combattant il faut affronter pour obtenir le droit de construire ce genre de maison dans notre vieille Europe toute engoncée dans les règlements, les plans d'occupation de sols, les normes énergétiques, mais je compte bien aller à la rencontre de quelques-uns de ces auto-constructeurs lorsque je serai de retour en France !
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