Dans mon accord avec Yann à propos de ce stage de longue durée il y avait une clause évidente à mes yeux : que j’allais pouvoir puiser dans la production du maraîche pour me nourrir. C’était sans compter la saison, car mai et juin sont justement les seuls mois de l’année où le type de maraîchage qui est pratiqué ici ne peut rien produire (1). Les clients sont prévenus, ils souscrivent pour un panier hebdomadaire de légumes de saison de juillet à fin mars uniquement. En avril le reliquat d’une production qui ne va plus dans les paniers inonde la famille de salades, blettes, choux, choux raves, betteraves qui poussent encore dans la serre d’hiver et sur les parcelles extérieures. Mais en mai, il est temps de déshabiller la serre et les parcelles pour y semer le couvert d’été qui va nourrir et structurer leur sol. A ce moment de l’année, dans la serre et sur les parcelles d’été, le couvert d’hiver achève juste son travail et il faudra encore des semaines avant que les jeunes plants de légumes d’été qu’on y plante atteignent le stade de la production. C’est la dèche au maraîche.
Pas tout à fait la dèche. En déjeunant chaque jour avec la petite famille joyeuse, je prends une leçon de transition. Bien que le légume soit un pilier de leur alimentation, ils mettent un point d’honneur à ne (presque) pas acheter chez les autres ce que leur terre ne produit pas. Ils s’adaptent. On ouvre chaque jour des conserves de légumes d’été fabriquées ici même pendant les fastes productifs de fin de saison, ou les lactofermentations de carottes que j’avais moi-même préparées à l’occasion d’un court séjour hivernal, plutôt que de voir jetées aux poules les magnifiques racines endommagées par une météo trop pluvieuse ou rognées par les mulots.
Et on glane beaucoup, car les parcelles apparemment vides fournissent tout de même bien volontiers une petite récolte végétale quotidienne. Orties, consoude, livèche, primprenelle, ciboulette, capucine dans les haies, oignons et ail prélevés précocement sur les doublons de leur planche hivernale, sans menacer la production future, repousses diverses et aléatoires des légumes de la saison passée, quelques patates nouvelles disséminées, des blettes poussant au milieu de nulle part. Nous avons aussi mangé pendant une bonne semaine des centaines de minuscules bébés poireaux trop chétifs pour être plantés. Chétifs mais savoureux.
La résistance à la tentation d’acheter les légumes primeurs disponibles ailleurs se vit dans la tranquillité et je m’y coule, finalement, avec joie. Je n’achetais déjà quasiment plus de légumes produits hors de France et rarement du hors saison, ce n’est qu’un pas de plus à franchir. Un pas de plus vers un rapport plus doux avec la terre. J’anticipe avec délectation l’arrivée prochaine des premières courgettes, je vois les jeunes tomates prendre forme et mes papilles se souviennent de la saveur inimitable des légumes dont la saison a été respectée. Celle de mon enfance.
Et vous ? Consommez vous des tomates en toutes saisons ? Quel goût leur trouvez-vous ?
1 – La formule est un peu exagérée car il serait possible de produire des légumes primeur avec une serre de plus, un couvert d’automne gélif et un démarrage des semis de plants plus précoce. Yann a fait le choix de ne pas engager cette production, qui est plus technique et plus capricieuse en résultat, bien que très valorisée. Nos échanges sur les calendriers de production ont été d’une grande richesse.
Bonjour Isa
As-tu déjà une idée sur la région de France la plus adaptée pour la culture maraichère et l'autonomie ?
Content de te lire à nouveau, j'avais un peu moins suivi les dernières étapes du périple Sud américain, mais tu donnes l'impression de bien repartir sur un beau projet.
Fabien (Compiègne)
Rédigé par : Fabien | 22/06/2020 à 15:27
@ Fabien: très contente de savoir que tu as suivi de fil d'un blog à l'autre, d'une aventure à l'autre.
Comme tu vois, j'ai beau avoir achevé "le" voyage, je suis toujours en mouvement.
Mais je n'ai pas l'impression de "repartir". Cette aventure transitionniste et agricole trotte dans ma tête depuis Chiloé. Il y a donc une sorte de tuilage entre les deux aventures, la maritime et la terrestre, avec un espace flou, actuellement. Skol n'est pas encore vendu et je n'ai pas encore de lieu de vie. J'apprends.
Je me garderai bien de désigner la région de France la plus adaptée. Le terroir et le climat sont important, y compris les évolutions probables du climat dans les décennies à venir, mais le facteur humain est à mon avis le premier. Proximité famille, amis ou bien au contraire éloignement, isolement. Installation familiale, professionnelle, communautaire ? C'est une équation si personnelle ! J'évoquerai sans doute mes questionnements et mes paramètres dans les mois qui viennent. Pour le moment, ça flotte....
Serais-tu en train d'avancer dans cette direction, avec ta douce ?
Rédigé par : Isabelle | 22/06/2020 à 16:17
L'expérience du confinement nous a tous fait réfléchir, et si je conserve bien le projet d'avoir un voilier plus grand et de naviguer plus loin, je reconnais que l'idée d'acquisition d'un terrain avec une "maisonnette" a pris un autre sens. Mais je pose cette question car la palette de choix semble immense, en restant à moins de 50 km de la mer et si on excepte les zones financièrement inaccessibles, quel est le bon compromis qui conviendra à chacun ?..
Possible que ce soit une quête sans fin, et que cela doit se faire au coup de cœur..
Rédigé par : Fabien | 22/06/2020 à 17:44
@ Fabien : J'espère que tout plein de gens ont profité de COVID pour réfléchir ....
Question : comment vois-tu la compatibilité entre l'activité voile et la culture maraichère ? Nous avions longuement réfléchi à cela avec Ariel et la conclusion était qu'il fallait partager à la fois la propriété du bateau et la propriété / responsabilité de la production agricole. Genre deux ou trois navigateurices-fermières qui partent sur l'eau chacun-e son tour.
Toute une aventure, on peut en causer si tu veux.
Rédigé par : Isabelle | 23/06/2020 à 14:56
A Isa. Oui je comprend bien l'interrogation sur comment structurer sa vie de façon à fusionner deux mondes différents, et c'est certain que je n'aurais pas de réponse à proposer. De mon coté j'ai poursuivi la filière plus classique du monde du travail, j'aurais probablement pu m'en écarter si cela n'aurait pas d'incidences défavorables sur la famille, et aussi j'occupe une fonction dans l'industrie ou j'ai encore réussi à conserver du sens à mon activité. Je travaille beaucoup avec les stagiaires d'écoles d'ingénieur et nous développons des nouveaux process en explorant des technologies encore récentes (analyse des images numériques pour quantification d'une performance de mélange de polymères). Mais tous cela ne durera pas (et tant mieux) car tôt ou tard je pourrai quitter le salariat que ce soit en retraité ou dans un autre statut. Et là, je m'interroge sur ce qui me conviendrait le mieux pour naviguer et prendre des périodes de repos à terre ..
Ton idée de "partenariat" et roulement avec d'autres navigateurs est certainement à creuser.
Rédigé par : Fabien | 25/06/2020 à 17:20