Assembler les carreaux brisés avec une intention d’abord vague, qui se précise en chemin. Apparaissent dans la matière quelques animaux marins. Embellissement des parois de la douche collective. Douce jubilation de joindre le beau à l’utile.
Au printemps dernier, ce sont des arbres stylisés qui ont émergé de mes coups de pinceaux. Je voulais personnaliser ma caravane, et accueillir ma joie d’entrer en phase d’inclusion dans cet éco-lieu. Tracer ma joie d’un coup de pinceau qui en retour me procurait de la joie.
Petite, je fus pendant quelques années désignée comme « l’artiste de la famille ». J’écrivais des poèmes, je dessinais la falaise du bout du jardin, au pastel, sous toutes sortes de lumières. Il fut décidé que j’illustrerai les pages du livre que Maman avait commencé à écrire et qu’elle n’a jamais achevé. Je suis l’autrice d’une immense (1) bande dessinée contant nos onze mois de voyage en famille à la voile autour de l’Atlantique . Des semaines de création, image par image. Puis plus rien ; j’ignore ce qui a interrompu cet élan à l’époque. Avais-je tout donné dans cette « grande œuvre »? ou bien est-ce l’usage qui en a été fait sans mon consentement qui m’a découragée ?
Curieusement, quelques années plus tard, j'entrai en école d’ingénieur pendant que ma sœur aînée optait pour une carrière musicale, et ma cadette pour l’école Olivier de Serres, école des Arts Appliquées et des Métiers d’Art. Je me trouvais donc définitivement déchargée du rôle d’artiste, dans lequel de toutes façons je ne me trouvais pas légitime.
L’élan est revenu de l’intérieur, après mon divorce. J’ai commencé l’aquarelle, des végétaux d'abord. J’aimais capturer le geste de la fleur, son penché, ses teintes. Et des paysages marins, pendant mes croisières estivales. Silhouettes de littoraux, bateaux de pèche amarrés au quai, ou bien le quai lui-même, de pierre et de bois. J’ai trimballé mes petits cubes aquarelles et ma boite de pinceaux pendant mon voyage au bout du monde, même si je ne les sortais pas souvent. Elles étaient là, occupant dans mon étroit équipet personnel plus de place que leur usage ne le justifiait, au cas où. Pendant ce voyage,-là la place de l’artiste était occupée par mon compagnon, qui savait très bien décourager les velléités artistique autour de lui (2).
La minuscule part d’artiste en moi refait surface, en des moments non prémédités. Ma caravane devait être revêtue d’un camouflage pour se rendre invisible de la route. Les carreaux collectés à droite à gauche pour le projet de douche étaient si divers et si beaux, ils se sont imposés. La beauté prend place spontanément dans mes sélections de plantes, des annuelles, des vivaces, dont j’apprécie la couleur ou la silhouette autant voire plus que la comestibilité ou l’utilité ; tabac, ricin, capucine, miscanthus, akébie, et tant d’autres. Chose nouvelle, mes gestes créatifs rencontrent le soutien chaleureux du collectif. Gratitude qui me comble et m’encourage à persévérer dans cette sorte de reconquête. Oui, je voudrais bien que la beauté reprenne une place plus importante dans ma vie, dans mon quotidien, qu’elle se manifeste à travers moi, pour moi-même et pour les autres.
Dans un monde qui part en cacahuètes, nous aurons toustes besoin de beauté pour tenir le coup, non ?
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Quatre feuilles au format A0, soit 2,20 m x 1,60m .
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Les musiciens n’étaient que rarement assez bons, les photos des autres jamais assez signifiantes, et mes aquarelles jamais assez rapides à sortir de mes pinceaux.
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