Les premières années d’un projet d’écovillage sont toujours très compliquées, car il faut résoudre plusieurs équations simultanément. Une équation économique à fort engagement en capital (achat du bien et rénovation) , une équation culturelle chargée d’enjeux existentiels (a quoi aspirons nous à travers ce projet), et une équation de vie collective de tous les jours souvent lestée d’attentes et d’illusions (faire fonctionner le projet avec des niveaux de disponibilité et d’engagements très variables).
La philosophie que j’aime bien (1) consiste à soulager la première équipe d’une partie de l’équation économique en reportant sa résolution à plus tard. Pour autant, il ne faut pas faire n’importe quoi.
Je me livre donc ces temps-ci à un exercice délicat, qui consiste à réviser les comptes d’un collectif, depuis sa création, il y a trois ans. Il s’agit, avec l’accord des associé-es, de réécrire son histoire financière comme si le modèle économique auquel je crois avait été adopté depuis le début. Juste pour voir ce que ça aurait donné.
C’est assez intrusif et je suis touchée de la confiance qu'ielles me manifestent en me confiante leurs livres de comptes.
Je me sens privilégiée de pouvoir ainsi passer des données réelles ne m’appartenant pas dans une moulinette auxquelles elles devraient théoriquement pouvoir s’adapter … mais qui sait ?
Avant de me lancer, j’ai vérifié auprès de mes amis de Rangarnaud. Je me suis assurée que le modèle que j’avais aidé à mettre en place là-bas fonctionnait toujours et donnait bien ce qu’on en attendait. De la transparence, de la lisibilité, et une utilisation intelligente des mécanismes comptables autorisés par la loi, pour aider le projet à prendre son essor.
J’ai un peu peur. Mes calculs et propositions mettent en lumière des anomalies de raisonnement qui sont installées depuis trois ans. Comment dévoiler cela sans heurter les gens ?
J’ai de l’espoir. Une fois localisées et quantifiées les anomalies , l’équipe reste souveraine de ce qu’elle en fera. Elle aura la possibilité d’assainir tout ou partie du passé, si elle en décide ainsi.
J’ai un objectif. Qu’à l’issue de cet exercice tout le monde comprenne de quoi est composée la redevance payée chaque mois, par chaque foyer, ce qui n’est pas le cas actuellement, et que de ce fait les questions de solidarité, de justice et de pérennité puissent être abordées dans le concret, au lieu d’être seulement des principes ou des sentiments.
C’est un don. J’offre mon temps de cerveau et mon expérience des chiffres.
Je sais que mes formules de calcul sont sérieuses. Je ne sais pas si elles seront prises au sérieux.
J’ai envie que cela procure un apaisement aux tensions qui se sont installées dans ce groupe, mais les bonnes intentions ne sont pas toujours perçues ainsi. Une interprétation pourrait être que je tente de prendre le pouvoir. En vérité, je tente d’aider le groupe à s’émanciper de schémas de pensée issus du système d’optimisation dans lequel nous avons toustes baigné, et si possible à déconstruire les pseudo-évidences tapies au coin de maints raisonnements. Je tente de démasquer les éventuels mécanismes de domination par l'argent qui seraient à l'oeuvre. Est-ce une forme de prise de pouvoir politique?
- C'est autant une méthode qu'une philosophie, en réalité. Cette approche est promue par une association dédiée à l’accompagnement des collectifs, qui commence à faire référence dans le milieu, l'association les Pas Sages.
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