Depuis trois ans et demie, ma vie de nomade des mers est financée grosso modo par les loyers de la maison dont je suis propriétaire en France (1). Je n'ai pour le moment pas besoin de chercher du travail en route pour poursuivre l'itinérance, quel privilège! En plus de ce patrimoine immobilier que représente la maison, je possède quelque capital financier, que j'ai pour la majeure partie confié aux bons soins de la banque éthique La Nef sous forme de comptes à terme longue durée (10 ans) avec la consigne de le consacrer à des prêts aux agriculteurs biodynamiques (*) biologiques de France et de Navarre.
Mais avant d'en arriver là, combien de fois ne me suis-je pas surprise moi-même hésitant à transférer chaque portion de mes réserves de placements lucratifs (2) depuis ma banque historique, la fort décevante Société Générale, en direction des comptes à termes beaucoup moins lucratifs de La Nef ? A chaque étape de ce progressif transfert, malgré ma résolution, je sentais se jouer en moi le tiraillement entre le bien commun et mon bien-être personnel. Cesser de cautionner un rendement de l'argent supérieur à ce qui me semble légitime, faire taire le raisonnement spéculatif qui consiste à réfléchir au bon moment pour vendre, et par conséquent renoncer à une fraction de revenus à une époque où, en pleine préparation au départ, j'ignorais encore de combien d'argent nous allions avoir besoin et si la location de la maison y suffirait (3). La peur de manquer d'argent plus tard.
Dernièrement, La Nef a pris contact avec moi, comme avec beaucoup de ses clients, j'imagine, pour tenter une négociation. Certains de mes comptes à terme, ouverts à une époque où les taux d'intérêts étaient plus élevés qu'aujourd'hui offrent une rémunération qui semblait faible mais qui maintenant dépasse largement ce qu'ils proposent aujourd'hui. C'est ce qui arrive parfois avec les contrats de longue durée, on fait un pari sur l'avenir. La banque revient donc vers moi, il y a quelques semaines, avec une demande claire bien que radicale : accepteriez-vous de réduire votre rémunération de 3,5% à 0,3% étant donné l'évolution des taux directeurs, de sorte qu'on puisse en retour continuer à proposer des conditions de crédit décentes ? J'étais contente du pari que j'avais fait, moi, car 3,5%, de nos jours, c'est une jolie rémunération, et voilà que ces petits malins me rappellent que je gagne mon pari au détriment de ceux qui sont de l'autre côté du crédit. Ben oui ma bonne dame, 3,5% , de nos jours, ça ne se trouve pas sous le sabot d'un cheval ! Je réalise que même dans cette forme de placement ultra-raisonnable, il y avait une dimension de spéculation, quelle horreur !
Jamais la Société Générale ne reviendrait vers moi pour me demander de renoncer aux 4,5% des quelques obligations SG que je détiens encore chez eux, avec un peu de perversité ! (mes derniers titres, mon ultime petit péché de cupidité.). Mais la NEF n'est pas la Société Générale, et le rapport que j'entretiens avec eux est fondé sur la confiance et la volonté commune de traiter l'argent comme une ressource raisonnable au service de projets intelligents. J'ai confiance qu'ils ne sont pas là en train de manœuvrer pour s'octroyer des salaires plus importants, ni mieux rémunérer des actionnaires, ni qu'ils vont spéculer avec mes sous sur les matières premières alimentaires ou les catastrophes climatiques. C'est ainsi qu'à la grande surprise de mon homme, pour qui un-contrat-est-un-contrat-qu'il-faut-honorer-jusqu'au-bout, j'ai accepté d'y réfléchir et finalement de convertir une partie de mes fonds selon leur demande. Une partie seulement car, bien que j'aie beaucoup progressé en ce domaine en trois ans de vie rustique, bien qu'entretemps le système de location de la maison ait semblé prouver sa solidité, un dernier résidu de peur de manquer a encore frappé et je n'ai pu me résoudre à tout convertir (4).
Le chemin vers la sainteté financière est semé d'embûches imprévues…. Et de questions qui devraient être universelles. Combien de patrimoine est « assez » pour se sentir en sécurité ? Combien de revenus est « assez » pour vivre décemment ? Je n'ai pas la réponse à ces questions et je ne chemine que doucement vers ma vérité personnelle dans ce domaine, mais une chose est sûre : nous avons tous grandis dans une société qui promeut l'idée que « plus, c'est mieux » et qui par conséquent n'encourage pas à réfléchir en termes de « assez ». Ne serait-il pas temps de changer ça ? A quand la définition d'un seuil de richesse au-dessus duquel on perdrait le respect de ces concitoyens, comme le fait d'être en dessous du seuil de pauvreté déclenche naturellement … la compassion ?
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Finir de payer les emprunts et mettre en place un premier groupe de colocataires avec l'état d'esprit désiré ont fait partie des étapes importantes de la préparation au départ.
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Quelques actions reçues en héritage, dont j'ai vendu immédiatement les plus spéculatives et les plus discutables (UBS notamment), car elles me brûlaient les doigts.
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Notamment parce que je ne demande pas aux locataires de solidarité sur les loyers et que lorsque l'un quitte la maison, les autres le remplacent sans pression d'urgence de ma part. Je préfère qu'ils prennent le temps de trouver quelqu'un avec qui ils seront contents de partager la maison. Il y a donc régulièrement des périodes de carence, heureusement courtes jusqu'à maintenant, mais cela nous l'ignorions lors de la mise en place des premiers contrats.
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Cela dit, si tous leurs clients acceptent l'opération proposée, même si c'est seulement sur une partie des fonds, la banque va se trouver en meilleure position pour proposer des prêts intelligents à des porteurs de projets ayant du sens.
* PS en Aout 2018 : de longs mois après l'écriture de ce texte j'ai appris que l'agriculture BIODYNAMIQUE n'est pas a même chose que l'agriculture BIOLOGIQUE . J'ai aussi découvert les possibles relations entre la banque LA NEF et le mouvement de l'anthroposophie, dont j'ignorais tout au moment de mes choix de placement. Ma réflexion au sujet de ces informations nouvelles est en cours.
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