C’est connu, dans le monde des éco-lieux, écohameaux, ecovillages, oasis, et autres modes de vie collaborative, rurale, alternative : la composition des groupes change dans le temps. On ne signe pas avec le groupe un contrat de sang pour la vie, pour vieillir ensemble, on tente de tricoter des choses qui vont durer, quand même, mais pas forcément avec les mêmes personnes tout le long du chemin. Ça, c’est l’avertissement que nous entendons ou que nous lisons. C’est l’avis des observateurices ayant du recul, ayant étudié les histories de collectifs. Ielles nous précisent même que la composition des groupes est plus susceptible d’évoluer dans les périodes charnières autour du bâti, ou aux moments de transformation juridique, ou lorsqu’une difficulté financière s’installe. Les changements dans la structure physique ou juridique du projet sont parfois déclencheurs de modification du groupe et parfois c’est l’inverse, des départs ou des arrivées de membres provoquent des changement de direction du projet.
On a beau le savoir, c’est une autre affaire de le vivre. Après presque trois années d’aventure partagée, me voilà séparée du collectif de Rangarnaud. Il m’a fallu quelques semaines pour assimiler ce changement et me trouver capable d’en parler paisiblement.
La première année de cette aventure partagée a été consacrée à faire connaissance et former petit à petit un groupe-coeur, au moyen de réunions à peu près toutes les six semaines. J’ai vécu cette période pleine d’interrogations, de turbulences, j’ai souvent eu envie de jeter l’éponge tant il est difficile de s’accorder à huit, avec chacun-e son histoire, sa culture et des aspirations pas tout à fait identiques. Mais l’affection pour les belles personnes qui composent ce groupe, l’envie de savoir comment ça allait prendre tournure et l’impression de faire quelque chose de difficile mais important m’aidaient à choisir de continuer.
La seconde année a été assez exaltée pour moi, nous avancions bien sur la structure juridique du projet avec un accompagnement de qualité, qui nous aidait à franchir ensemble les étapes de compréhension des enjeux et de choix à faire. J’ai mouillé la chemise sur la mise en place d’un modèle économique cohérent avec l’objectif à long terme de « produire du commun ». La fréquence et la durée de mes séjours sur place a augmenté, j’ai beaucoup bossé sur la dimension agricole du projet : remise en vie d’une série de parcelles et mise en place des premiers cycles complets de production légumière.
La troisième année fut pour moi celle d’un engagement encore plus décidé. J’ai accepté d’assumer la première présidence de la SAS, et la charge mentale qui va avec, car une fonction sans pouvoir n’est pas une fonction sans devoirs. J’ai séjourné plus de cent jours sur le site et consacré du temps au projet également lorsque je n’y étais pas. J’ai investi plus de trente mille euros dans les travaux de restauration. Les parcelles agricoles ont atteint une belle dynamique de fertilité avec une mécanique de rotations bien en place, à une échelle modeste. Yann est d'ailleurs venu donner deux jours de formation à son approche agricole inspirée de Masanobu Fukuoka, et nous n'avions pas à rougir de ce que le potager montrait à l'appui. La foret comestible peinait à s’installer sur un sol difficile et avec un été impitoyable, mais elle donnait des signes prometteurs.
Il semble donc évident que je ne me préparais pas à une séparation et que cette séparation n’est pas ma décision. Mais ainsi va la vie, qui sème des surprises sur la route et offre ou impose des virages inattendus. Il n’est pas nécessaire de décrire ce qui nous a conduit là : les aventures alternatives ne sont pas de longs fleuves tranquilles et « faire collectif, c’est du boulot », parfois au dessus de nos moyens, de nos compétences émotionnelles ou de nos ressources en matière de communication. Il appartient à chacun et chacune d’entre nous de relire son vécu pour en tirer les leçon pour l’avenir, ou pas. En ce qui me concerne, l’accompagnement individuel que je me suis offert pour y voir plus clair dans cette période étrange m’a considérablement aidée.
Ces trois ans d’aventure ont été pour ma part un investissement autant qu’un apprentissage, une aventure de projet autant qu’une aventure de liens. Je n’ai qu’un regret : que nous n’ayons pas pris plus tôt la décision de nous faire accompagner sur l’humain.
A bientôt de se revoir, comme convenu, en juillet prochain, quand mes blés paysans seront murs pour la récolte.
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