De retour en Finistère après ma virée affective, j'ai repris mes routines de jardin dans le calme. Après les désherbages prioritaires, un tour d'évaluation général. Tiens, le sarrasin de soin d’été pour le sol, que j’ai semé à la suite des récoltes des cultures de printemps, n’a pas levé partout. Comment cela se fait-il?
Tout le jardin a pourtant bien reçu les vingt cinq millimètres de pluie qui ont suivi ce semi, mais la seule parcelle vraiment levée est celle qui était restée bâchée jusqu’à la veille. Celle-là, contrairement aux autres, n’a pas été soumise à plusieurs semaines de vent desséchant. Voilà qui enrichirait mon panel d’utilisation des bâches…. Ou renforcerait l’impératif de pailler épais dès la récolte faite, lorsque la récolte met le sol à nu. Et d’arroser même les parcelles vides, dans certains cas. Je médite sur les leçons de conduite des sols que j’ai apprises avec Yann. Clairement, j’ai manqué de rigueur cette année et le temps sec ne me l’a pas pardonné.
Ça me rappelle le pilotage d’un voilier au louvoyage ou dans les conditions difficiles. La différence entre une approche un peu négligente et une rigueur de chaque instant pouvait se traduire par des heures, des jours, ou la vie. Cette année, ma conduite négligente de l’état hygrométrique des sols se traduit par des productions diminuées de moitié, ou ridicules, à peine suffisantes pour resemer l’an prochain, ou tout simplement nulles, perte totale. C’est pas grave, puisque rien de critique ne dépend actuellement de ma capacité à produire de la semence ou de la nourriture. Privilège de ma situation économique. C’est pas grave puisque j’ai disséminé mes populations dans le réseau et je pourrai donc demander si besoin qu’on m’en renvoie de quoi redémarrer. C’est pas grave puisque les semences que je testais pour la première fois, j’en ai gardé de quoi retenter ma chance en cas d’échec. C'est pas grave, et en plus au passage je découvre que le lin, les lentilles et les pois chiches se contentent réellement de peu d'eau, au démarrage.
Mais un frisson me prend à l’idée qu’un jour viendra où il faudra assurer. Le temps d’apprentissage est long, en agriculture comme en navigation à voile. Il faut des années pour rencontrer toutes les conditions susceptibles de se présenter et emmagasiner un savoir incarné dans la chair. Et je retrouve dans la population aspirante à l’autoproduction de nourriture la même tendance générale, à sous-estimer le temps d’apprentissage, que j’avais l’habitude de voir chez les aspirants au grand voyage. Tendance à croire que ça va le faire, qu’on apprendra au moment où on aura vraiment besoin. On confond une sortie en mer réussie avec une compétence avérée, tout comme on confond un été de potager productif avec une capacité à produire tous les légumes, toute l’année, tous les ans. La complexité de ces « métiers » est souvent invisibilisée par une population biberonnée au tutoriel vidéo montrant les situations de réussite, et des apprentissages dans lesquels aucun grain de sable ne vient se glisser. Vous aussi pouvez le faire.
La tranquillité dont je jouis pendant mon apprentissage agricole est un traitement de faveur que la vie m’accorde, dont ne bénéficient pas les agriculteurices en cours d’installation, tenu-e-s de générer un revenu dans les toutes premières années et dont ne bénéficieront pas les néo ruralaux qui s’y seront pris-es trop tard pour apprendre. Iels découvriront les difficultés sous un climat différent et dans une forme de pression d’urgence plus tangible, réelle, que la mienne aujourd’hui.
Cela dit, la raison pour laquelle j’ai négligé l’état hydrique des parcelle, c’est peut-être aussi que je rechignais à arroser avec de l’eau potable, et que je comptais sur le fameux crachin du climat breton pour venir mettre sa goutte d’eau dans l’histoire, tôt ou tard. Tôt n’est pas venu, et tard se fait encore attendre, même si les entrées d’air humide du mois d’août et une accalmie des température soulagent bien les plantes la nuit. J’ai fini par arbitrer, courant juillet, en faveur de la vie du sol et en défaveur de la facture d’eau du collectif.
L’ingénieure en moi se mobilise déjà pour commencer les calculs de collecte, stockage et mouvements d’eau de pluie dont ce site aura besoin de toutes façons à long terme. Que je sois encore là ou pas.
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