Budget serré, minuscule logement (1) et activités d’apprentissage sous différentes formes, c’est mon style de vie actuel, une vie d’étudiante. Sentiment d’être débutante, de nouveau. De tâtonner, d’expérimenter en terres inconnues. Comme j’ai plusieurs fois changé d’orientation professionnelle dans mon histoire, le processus de remise en état de débutante ne m’est pas totalement nouveau. Pour autant, il y a quelque chose de neuf cette fois-ci. C’est tout qui change en même temps, y compris mon rapport au monde. Mes réorientations précédentes survenaient par fraction, je changeais de métier mais dans le même environnement ou d’environnement en gardant à peu près le même métier (2) et je restais, même pendant ma vie de voyage, dans un paradigme où l'intermédiaire argent s'impose entre une forme de travail et l'accès à la nourriture.
Là, j’aborde un vaste champ de connaissances diverses, théoriques et pratiques, dans un monde dont j’ignore à peu près tout. J’y entre sans programme de formation institutionnel, du moins pour le moment (3). Et puis, je suis plus vieille. Non que mon plaisir ou ma soif d’apprendre soit moindre, mais bon. Plus envie d’engager une énergie démesurée. Conscience que c’est sans doute ma dernière reconversion. Alors que j’ai abordé l’automne dans une espèce d’urgence, j’ai l’impression maintenant de m’installer dans le temps long, faute d’énergie pour avancer vite et aussi par pragmatisme. Ma reconversion agricole sera lente. Voilà, c’est ainsi.
Cette durée, cette lenteur, me donnera loisir de préciser mon projet et de choisir ma région d’installation. La finalité de ma reconversion est bien la production de nourriture, j’ai même une idée précise des techniques agricoles que j’ai envie de pratiquer, mais je ne sais pas encore à quelle échelle. Au minimum, m’occuper de ma propre nourriture et fournir de bonnes choses à mes proches, ami-es, voisin-es et autres membres de réseau d’entr’aide. Il s’agirait d’une quête vers l’autonomie, toujours inachevée. Ou alors produire de la nourriture pour une communauté, un éco-lieu, dont je ferai partie. Autre quête, plus intense en collaboratif. Ou bien, encore plus ambitieux, produire pour un établissement collectif comme une école, une maison de retraite, avec peut-être une activité d’accueil des enfants ou des ainé-es pour du jardinage pédagogique ou récréatif. Partenariat, utilité sociale, liens humains multipliés, participation plus engagée à la transformation du monde autour de moi. Je laisserai murir tout ça au gré de mes méditations, des rencontres et de la matérialité des choses.
Chose intéressante, j’observe que je ne suis pas seule sur ce chemin de la reconversion du monde non-agricole vers le monde agricole. Je croise régulièrement, en face à face ou à travers des récits oraux, imprimés ou vidéos, des personnes qui l’ont fait qui sont en train de le faire ou qui projettent de le faire. Celles qui l’ont fait témoignent de leurs difficultés et succès, celles qui sont comme moi dans le processus de transformation consacrent plus ou moins de temps à la formation et à l’action, souvent en parallèle au maintien d'une vie professionnelle non-agricole. Certain-es de celleux-là pratiquent juste un peu de potager dans un coin de jardin ou sur un balcon, mais accumulent ainsi au fil des saisons des expériences, une rythmique, des gestes, qui leur seront précieux si un jour ielles souhaitent passer la vitesse supérieure. Ma fille et ma sœur sont dans ce cas. Celleux qui projettent ou rêvent sont plus ou moins loin du passage à l’acte et plus ou moins réalistes sur ce que cela implique, mais suis-je réaliste moi-même ? En tout cas, ayant moi-même longuement rêvé avant de pouvoir agir, je suis très attentive à ces élans. Il me semble évident que nous avons besoin de beaucoup plus de monde engagé dans la production de nourriture, avec la lame de fond du désir de circuit court et de nourriture saine. Alors chaque germe d'action dans ce sens est bienvenu.
Pour le moment, je suis engagée pour deux sessions de deux mois en woofing-apprentissage, au printemps et à l’automne de cette année, en maraichage sous couvert végétal, dans le pays limousin. En attendant ces temps forts dont je me réjouis d’avance, je me concocte un mix d'études à base de livres spécialisés, de tutoriels, de travaux pratiques à droite à gauche et les stages théoriques de mes maitres. J’ai aussi découvert l'université numérique et cette forme d’enseignement en ligne qui s’appelle MOOC (4). On y aborde des sujets pointus, bien délimités : l’irrigation, les semences, l’agroforesterie, la chimie de la biomasse, je glane ce qui passe au programme, quand je flaire que ça peut m’aider à comprendre des fondamentaux. J’ai du temps ! Les MOOCS, font partie des nouveautés du paysage internet qui ont émergé pendant mon absence et que je trouve incroyablement ingénieux et bénéfiques. De l’éducation populaire accessible et gratuite ! (5)
Et vous ? Où en êtes vous ?
- Sous les combles de ma maison dont le principal reste occupé par les locataires. Loger petit ne me gêne pas, mais après cinq ans dans la nature, je n’ai même pas vue sur les arbres, par le vélux unique qui ne me montre que le ciel !
- Sauf la dernière fois, quand je me suis engagée dans l’apprentissage de la recherche en sciences sociales, avant le départ en voyage. C’était difficile d’aborder des champs de connaissance nouveaux en même temps qu’un environnement, celui de la recherche, dont j’ignorais tous les codes. Je n'ai jamais, finalement, pratiqué la recherche à titre professionnel.
- La pertinence d’une formation institutionnelle est à l'étude. Je me vois mal passer un Bacalauréat en maraichage à ce stade de ma vie !
- Massive Open Online Course. Cours gratuits en ligne à grande échelle. Sur France Université Numérique, entre autres.
- Dans le registre gratuit, ingénieux, instructif et qui ont également émergé dans le paysage internet au cours de cinq dernières années, les podcasts et les chaines youtube. Sous réserves de farfouiller et de trier, il y a des choses vraiment extraordinaires, je m’émerveille de ce foisonnement dans lequel on trouve parfois de véritables pépites, de très haute qualité. Avec le temps dont je dispose pour surfer, goûter, télécharger, c’est une autre proximité avec les mondes étudiant-es dans laquelle je me trouve.
Photo : Semences d’arbres et arbustes divers, dont certaines ont fait le voyage en voilier depuis l’Uruguay.
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